L'opinion publique : une question de valeurs

Modifié par Clemni

L'opinion publique a-t-elle une voix, comme le prétend la formule : vox populi vox dei (« la voix du peuple est celle de dieu ») ?

À cette question, Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) répond d'une façon nuancée, s'inscrivant dans ce qu'on pourrait appeler la tradition française (avec Montesquieu [1689-1755] ou Alexis de Tocqueville [1805-1859]), qui établit que l'opinion n'est ni affect, ni passion, ni raison, mais qu'elle renvoie au tissu social dans sa réalité incontournable : les mœurs. Ce qui signifie que la politique n'est pas pure construction de l’État, qu'il existe une politique des passions sociales et que l'opinion publique est une réalité sociale.

L'opinion publique, certes, n'est pas la « volonté générale » – locution technique désignant, chez Rousseau, la volonté du peuple qui statue collectivement pour, à l'issue de délibérations, déclarer la loi. La « volonté générale », en ce sens, est une voix unique qui se fait entendre à l'issue d'un processus rationnel et cognitif et la loi est idéalement un acte de souveraineté.

L'opinion, qui n'est certes pas la loi, ni ne saurait en tenir lieu ou la faire, est cependant, selon Rousseau, une « espèce de loi », car elle détermine des valeurs qui ne sont pas strictement morales, mais qui ont trait aux mœurs – une espèce de morale, non pas individuelle mais sociale.

Dans la République romaine antique, un tribunal des censeurs, magistrature qui veillait à l'opinion, avait pour tâche de déclarer dans un jugement ce qu'étaient les valeurs de la communauté. Cette déclaration n'était pas un acte de souveraineté. À quoi servait-elle ? À veiller à ce que les lois, bien qu'elles n'eussent pas à codifier les mœurs, leur fussent conformes ou, comme l'a dit Montesquieu, ne fussent pas dépourvues d'esprit. Dans cette optique, l'opinion publique porte les citoyens à aimer et à respecter les lois, ainsi qu'à désirer leur obéir.

On aperçoit ainsi que la différence entre populisme et démocratie vient de ce que le populisme croit qu'on peut produire les mœurs, comme aussi les supprimer, parce qu'il nie l'irréductible réalité sociale de toute communauté politique. Autrefois, le tribunal des censeurs protégeait la République romaine contre le danger d'oublier l'importance vitale du social dans le politique. Promouvoir l'amitié, faire aimer la paix, la liberté, l'égalité : telles sont les marques opérationnelles concrètes du respect de l'opinion publique dans un régime politique authentiquement libre.

Questions

  • Qu'appelleriez-vous, en politique, des « bonnes mœurs » ? Se réduisent-elles à ce qu'on appelle la « morale » ?
  • Comment, selon vous, s'exprime l'opinion qui, sans se réduire à des affects, des émotions ou des passions sociales, se traduit dans les mœurs ?
  • L'esprit de camaraderie – que promeut l'école de la République – vous semble-t-il présenter une dimension authentiquement politique ?

Pour approfondir

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